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jeudi 18 août 2011

Dans une Colombie encore en guerre, une école sur la ligne de front


 Un groupe d'enfants est allongé en étoile, pour une séance de relaxation: un rare instant de calme dans l'école de Toribio, dans le sud-ouest de la Colombie, sur la ligne de front du conflit avec les Farc, encore bien vivace dans cette région.
 La circonscription indigène de Toribio, 30.000 habitants, se trouve à 1.800 mètres d'altitude, à flanc de montagne, dans le nord du département de Cauca, sur la liste rouge des zones à risque, où les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes) mènent depuis 47 ans une guérilla contre l'Etat colombien.
 "La plupart des gens se préparent à affronter un tremblement de terre ou une avalanche. Ici on s'entraîne à faire face à un affrontement armé", explique l'un des professeurs de l'école, Giovanni Munoz, avant d'entamer avec les enfants un jeu un peu spécial.
 En cas de bombardement, "on fait la taupe sous les pupitres", dit-il à une nuée de bambins qui se précipitent sous les tables. Et si ce sont des fusillades, il faut vite traverser la cour "comme des canards" pour se mettre à l'abri.
 A mesure que l'armée gagnait du terrain, la guérilla des Farc s'est retranchée dans la jungle et dans ce massif andin, son fief historique: un corridor d'où elle peut se déplacer rapidement vers les plaines de l'ouest, de l'est et du centre, où se trouve Bogota.
 Elle s'y oppose souvent aux forces de l'ordre. A Toribio, selon le maire Carlos Banguero, 76 attaques ont été rapportées en 2008, 45 en 2009, huit en 2010. Mais la violence est repartie à la hausse cette année.
 Le 9 juillet, l'explosion d'un autobus piégé a fait cinq morts et plusieurs centaines de blessés. Quatre autres attaques se sont produites depuis.
 L'école primaire de 600 élèves n'est qu'à deux pâtés de maisons du poste de police, un bunker entouré de sacs de sable que les guérilleros visent depuis les hauteurs, parfois en pleine journée. En période d'affrontements, les instituteurs ramassent chaque jour dans la cour les douilles des balles échangées par les deux camps.
 Quand le feu cesse, ils tentent comme ils peuvent de rassurer les enfants.
 "Ils ne peuvent pas se concentrer. La seule chose qu'ils puissent faire, c'est commenter ce qui est arrivé. Nous les faisons dessiner pour qu'ils puissent s'exprimer", dit la directrice Maria Helena Santacruz, en montrant un dessin de Victor Hugo Gomilla, 10 ans, dont la maison vient d'être dévastée par l'attentat de l'autobus, qui a aussi emporté le bras de son père.
 Sur ce drame, l'enfant ne prononce que quelques mots: "Nos maisons ont été détruites, tout a été détruit", murmure-t-il sans lever le regard.
 Avec des crayons de couleur, il a dessiné un homme tirant avec son revolver et écrit "pan pan".
 Parfois, explique la directrice, les enseignants font venir le "Tehuala", guérisseur indigène qui tente d'exorciser leur peur.
 Mais malgré ces efforts, l'absentéisme est élevé car les parents craignent les risques encourus à l'école. A l'école secondaire, certains finissent même par rejoindre les groupes armés de la région - guérilla, ou milices composées d'ex-paramilitaires.
 Maria Helena Santacruz a connaissance de sept cas de jeunes âgés de 14, 15 ou 16 ans qui ont ainsi été recrutés. A ceux qui ont déserté, elle a demandé d'écrire leur témoignage, pour dissuader les autres de tomber dans ce piège.
 Mercredi 10 août, l'école a dû fermer face à l'intensité des combats.
 Elle n'a pas rouvert depuis. La directrice se bat pour que d'autres locaux moins exposés soient trouvés pour les enfants, mais l'aide n'arrive pas.
 Selon une étude de la fondation Tierra de Paz (Terre de Paix), il y a 4.600 enfants scolarisés en primaire à Toribio. Mais seulement 809 élèves, soit cinq fois moins, sont inscrits dans le secondaire et très peu peuvent accéder à des études supérieures, faute d'argent.
 "Nous n'avons pas besoin d'armée. Ce qu'il faut, c'est un investissement social", explique le maire Carlos Banguero. Plus d'éducation et davantage d'emplois. "Beaucoup de jeunes qui ont étudié ensemble finissent dans les rangs de l'armée ou de la guérilla", car il n'y pas pas d'autre horizon, regrette-t-il en évoquant la spirale infernale de la guerre.

AFP

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